La Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux

De Esopedia

La Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux. Ouvrage écrit par Adolphe Franck en 1889.

Cet ouvrage fait partie des ouvrages de référence qui semblent avoir été utilisés par Helena Blavatsky pour la rédaction La Doctrine Secrète. Nous l'avons donc incorporé au sein d'Esopedia dans la Bibliographie de la Doctrine Secrète.


Quatrième de couverture

[Le] grand ouvrage [d'Adolphe Franck] sur la kabbale est, avec celui de Papus, le mieux fait sur la question, donnant le résumé complet des doctrines principales contenues dans les deux livres fondamentaux de la kabbale : le Zophar et le Sepher Jesirah.

Après un exposé sur l'époque de formation de cette doctrine juive ésotérique sur Dieu et l'univers, révélation transmise par une chaîne ininterrompue d'initiés, sur les livres qui l'ont conservée, sur la manière dont ces livres ont été formés et transmis et sur l'authenticité de ces livres, Franck donne une exposition complète et fidèle de la doctrine, se retranchant le plus souvent derrière les paroles des auteurs mêmes.

Le lieu d'origine et l'influence de la kabbale font l'objet de la dernière partie de l'ouvrage, abordant le problème de la naissance de la doctrine en Palestine, sous la seule influence du judaïsme ou de l'emprunt à d'autres religions ou philosophies étrangères, et comparant successivement la kabbale à tous les systèmes antérieurs ou contemporains qui présentent quelque ressemblance avec elle.


Avant-propos de la deuxième édition

C'est en 1845, c'est-à-dire il y a tout près d'un demi-siècle, que ce livre a vu le jour pour la première fois. Il n'y a presque pas moins longtemps qu'il est devenu introuvable en dehors des bibliothèques publiques et privées. Cet empressement du public à prendre connaissance d'une oeuvre de métaphysique et de théologie n'a rien qui puisse nous étonner ; il s'explique par le sujet et par le nom même de la Kabbale. Depuis ce temps si éloigné j'ai été souvent sollicité, en France et à l'étranger, de publier une seconde édition de mon volume de 1843. Pour plusieurs raisons, j'ai refusé de donner satisfaction à ce désir. Obligé par état, comme professeur de droit naturel et de droit des gens au Collège de France, de consacrer toute mon activité à des études d'un intérêt général, il m'était difficile de revenir sur un sujet de recherches qui ne me paraissait plus répondre à l'esprit du temps. Puis, j'aurais été obligé, par la nature des objections qui m'étaient adressées, de reléguer au second rang ce qui fait le mérite et l'attrait de la Kabbale, c'est-à-dire le système philosophique et religieux qu'elle renferme, pour discuter avant tout certaines questions de bibliographie et de chronologie. JE n'ai pas eu le courage, je n'ai pas cru utile, de m'imposer ce sacrifice.

Aujourd'hui la situation est très différente. Dégoûtés des doctrines positivistes, évolutionnistes ou brutalement athées qui dominent aujourd'hui dans notre pays et qui affectent de régenter non seulement la science, mais la société, un grand nombre d'esprits se tournent vers l'Orient, berceau des religions, patrie originelle des idées mystiques, et parmi les doctrines qu'ils s'efforcent de remettre en honneur, la Kabbale n'est pas oubliée. J'en citerai plusieurs preuves. Il faut d'abord qu'on sache que, sous le nom de Société Théosophique, il existe une vaste association qui, de l'Inde, a passé en Amérique et en Europe, en poussant de vigoureuses ramifications dans les Etats-Unis, en Angleterre et en France. Cette association n'est pas livrée au hasard, elle a sa hiérarchie, son organisation, sa littérature, ses revues et ses journaux. Son organe principal en France s'appelle le Lotus. C'est une publication périodique d'un très grand intérêt, qui emprunte au bouddhisme le fond des idées, sans avoir la prétention d'y enchaîner les esprits en leur interdisant les recherches nouvelles et les tentatives de transformation. Sur ce fond bouddhiste se développent souvent des considérations et des citations textuelles empruntées à la Kabbale. Il y a même une des branches de la Société théosophique, une branche française appelée l'Ysis, qui a publié, dans le cours de l'année dernière, une traduction inédite du Sepher ietzirah, un des deux livres kabbalistiques qui passent pour les plus anciens et les plus importants. Ce que vaut cette traduction, ce que valent surtout les commentaires qui l'accompagnent, je n'ai pas à l'examiner ici. Je dirai seulement, pour donner une idée de l'esprit qui a inspiré l'auteur de ce travail que, selon lui, « la Kabbale est la religion unique dont tous les cultes sont des éménations[1]. »

Une autre Revue également consacrée à la propagande théosophique et dans laquelle, par une conséquence nécessaire, la Kabbale intervient fréquemment, est celle qu'a fondée, que dirige et que rédige en grande partie lady Caithness, duchesse de Pomar. Son nom, presque le même que celui que le grand théosophe allemand Jacob Boehm a donné à son premier ouvrage, c'est lAurore. Le but de lAurore n'est pas tout à fait le même que celui du Lotus. Le bouddhisme n'y tient pas le premier rang au préjudice du christianisme ; mais, à l'aide d'une interprétation ésotérique des textes sacrés, les deux religions sont mises d'accord entre elles et présentées comme le fonds commun de toutes les autres. Cette interprétation ésotérique est certainement un des principaux éléments de la Kabbale ; mais celle-ci est aussi mise à contribution d'une manière directe, sous le nom de théosophie sémitique. Je ne me porte pas garant de l'exactitude avec laquelle elle est exposée ; je me borne à signaler la vive préoccupation dont elle est l'objet dans le très curieux recueil de Mme la duchesse de Pomar.

Pourquoi ne parlerai-je pas aussi de lInitiation, bien qu'elle ne compte encore que quatre mois d'existence [2]? Ce nom seul dInitiation vous dit bien des choses, vous met sur le seuil de bien des sanctuaires fermés aux profanes, et, en effet, cette jeune Revue, qui prend sur sa couverture le titre de « Revue philosophique et indépendante des hautes études », est exclusivement vouée aux sciences, ou tout au moins aux objets de recherche, aux sujets de curiosité et de conjectures les plus suspects aux yeux de la science reconnue et même de l'opinion publique, de celle qui passe pour être l'organe du sens commun. Dans ce nombre figurent d'une manière générale la théosophie, les sciences occultes, l'hypnotisme, la franc-maçonnerie, l'alchimie, l'astrologie, le magnétisme animal, la physiognomonie, le spiritisme, etc., etc.

Dès qu'il est question de théosophie, on est sûr de voir apparaître la Kabbale. L'Initiation ne manque pas d'obéir à cette loi. La Kabbale, « la sainte Kabbale », comme il l'appelle, lui est chère. Mais elle fait fréquemment appel à son autorité ; mais on remarque particulièrement, dans son deuxième numéro, un article de M. René Caillé sur le Royaume de Dieu par Albert Jhouney, où la doctrine du Zohar, le plus important des deux livres kabbalistiques, sert de base à une Kabbale chrétienne formée des idées de Saint-Martin, dit le « Philosophe inconnu », le rénovateur inconscient de la doctrine d'Origène. C'est aussi une Kabbale chrétienne que propose M. l'abbé Roca dans un des premiers numéros du Lotus.

Il me sera aussi permis de ne point passer sous silence les journaux swédenborgiens qui paraissent depuis peu en France et à l'étranger, particulièrement la Philosophie générale des étudiants swédenborgiens libres[3]. Mais l'église de Swedenborg ou la Nouvelle Jérusalem, quoique présentée par ses adeptes comme une des formes les plus importantes de la théosophie, ne peut cependant se rattacher à la Kabbale que parce qu'elle se fonde sur une interprétation ésotérique des livres saints. Les résultats de cette interprétation et les visions personnelles du prophète suédois ressemblent peu, à quelques exceptions près, aux enseignements contenus dans les livres kabbalistiques : le Zohar et le Sépher ietzirah. J'aime mieux m'arrêter à une oeuvre récente de profonde érudition, à une thèse de doctorat, présentée il n'y a pas longtemps à la Faculté des lettres de Paris, et qui n'a pas obtenu le degré d'attention dont elle est digne : Essai sur le gnosticisme égyptien, ses développements et son origine égyptienne, par M. E. Amélineau[4].

Cette dissertation, écrite dans un tout autre but, ne laisse rien subsister de la critique superficielle qui voit dans la Kabbale une pure supercherie, éclose dans la tête d'un obscur rabbin du treizième siècle et continuée après lui par des imitateurs sans intelligence et sans science. M. Amélineau nous découvre chez les pères du gnosticisme, absolument inconnus au treizième siècle, principalement chez Saturnius et Valentin, un système de théogonie et de cosmogonie identique à celui qui est développé dans le Zohar ; et ce ne sont pas seulement les idées, mais aussi les formes symboliques du langage et les modes d'argumentation qui, des eux côtés, sont les mêmes[5].

Dans la même année où M. Amélineau, dans sa thèse de doctorat soutenue à la Sorbonne, vengeait le Zohar des attaques que lui livrait le scepticisme de notre temps, un autre savant, un savant allemand, M. Epstein, restituait au Sepher ietzirah, également en butte aux objections de la critique moderne, au moins une partie de sa haute antiquité. S'il ne le faisait pas remonter jusqu'à Akiba, et moins encore au patriarche Abraham, il établit du moins, par des raisons qu'on peut croire décisives, qu'il n'est pas postérieur au quatrième siècle de notre ère[6]. C'est déjà quelque chose. Mais, en regardant au fond du livre plutôt qu'à la forme, et en cherchant des analogies dans les plus anciens produits du gnosticisme, je ne doute pas qu'on puisse remonter beaucoup plus haut. Est-ce que les nombres et les lettres auxquels se ramène tout le sytème du Sepher ietzirah ne jouent pas aussi un très grand rôle dans le pythagorisme et dans les premiers systèmes de l'Inde ? Nus avons la rage aujourd'hui de vouloir tout rajeunir, comme si l'esprit de système et surtout l'esprit mystique n'étaient pas aussi anciens que le monde et ne devaient pas durer autant que l'esprit humain.

Voilà bien des raisons de croire que l'intérêt qui s'attache à la Kabbale depuis tant de siècles, aussi bien dans le christianisme que dans le judaïsme, dans les recherches de la philosophie que dans les spéculations de la théologie, est loin d'être épuisé, et que je n'ai pas tout à fait tort de rééditer un travail qui peut servir à la faire connaître. Après tout, quand il ne répondrait qu'au désir de quelques rares curieux, cela suffirait pour qu'on n'eût pas le droit de le compter parmi les livres entièrement inutiles.


A. FRANCK, Paris, le 9 avril 1889

Sommaire

PREMIERE PARTIE

Chapitre I. Antiquité de la kabbale. Chapitre II. Des livres kabbalistiques. - Authenticité du Sepher ietzirah Chapitre III. Authenticité du Zohar.

DEUXIEME PARTIE

Chapitre I. De la doctrine contenue dans les livres kabbalistiques. Analyse du Sepher ietzirah Chapitre II. Analyse du Zohar. Méthode allégorique des kabbalistes. Chapitre III. Suite de l'analyse du Zohar. Opinion des kabbalistes sur la nature de Dieu. Chapitre IV. Suite de l'analyse du Zohar. Opinion des kabbalistes sur le monde. Chapitre V. Suite de l'analyse du Zohar. Opinion des kabbalistes sur l'âme humaine.

TROISIEME PARTIE

Chapitre I. Quels sont les sytèmes qui offrent quelque ressemblance avec la kabbale. Rapports de la kabbale avec la philosophie de Platon. Chapitre II. Rapports de la kabbale avec l'école d'Alexandrie. Chapitre III. Rapports de la kabbale avec la doctrine de Philon. Chapitre IV. Rapports de la kabbale avec le christianisme. Chapitre V. Rapports de la kabbale avec la religion des Chaldéens et des Perses.

APPENDICE

I. La secte kabbalistique des nouveaux 'hassidim II. La secte des zoharistes ou antithalmudistes.

  1. Avant-propos, p.4
  2. Son premier numéro porte la date d'octobre 1888.
  3. In-8, chez M. Villot père, 22 rue de Boissy, à Taverny (Seine-et-Oise).
  4. 1 vol. in-4, Paris, 1887.
  5. J'en ai cité plusieurs exemples dans le Journal des Savants, cahiers d'avril et de mai 1888.
  6. Epstein, Mikadmoniot haychoudin, Beiträge zur jüdischen Alterthums-Kunde, Vienne, 1887